LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 11 février 2021 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 324 du 10 février 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Vladimir M. par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-900 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du quatrième alinéa de l'article 181 du code de procédure pénale et de l'article 305-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 85-1407 du 30 décembre 1985 portant diverses dispositions de procédure pénale et de droit pénal.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 85-1407 du 30 décembre 1985 portant diverses dispositions de procédure pénale et de droit pénal ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 5 mars 2021 ;
- les observations présentées pour Mme Danuta B. et autres, parties au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi, enregistrées le 22 mars 2021 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Marielle Jéhannin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour Mme Danuta B. et autres, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 13 avril 2021 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistré le 20 avril 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi, pour celle des dispositions dont la rédaction n'a pas été précisée, du quatrième alinéa de l'article 181 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 24 novembre 2009 mentionnée ci-dessus.
2. Le quatrième alinéa de l'article 181 du code de procédure pénale, dans cette rédaction, prévoit :« Lorsqu'elle est devenue définitive, l'ordonnance de mise en accusation couvre, s'il en existe, les vices de la procédure. »
3. L'article 305-1 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 1985 mentionnée ci-dessus, prévoit :« L'exception tirée d'une nullité autre que celles purgées par l'arrêt de renvoi devenu définitif et entachant la procédure qui précède l'ouverture des débats doit, à peine de forclusion, être soulevée dès que le jury de jugement est définitivement constitué. Cet incident contentieux est réglé conformément aux dispositions de l'article 316. »
4. Selon le requérant, ces dispositions, qui prévoient la purge des nullités à compter du moment où l'ordonnance de mise en accusation acquiert un caractère définitif, méconnaîtraient le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense, faute de prévoir des exceptions lorsque l'accusé n'a pas été régulièrement mis en examen, a été privé de sa qualité de partie à la procédure et n'a pas reçu notification de l'ordonnance de mise en accusation. Il en résulterait également une méconnaissance par le législateur de sa propre compétence de nature à affecter l'exercice de ces droits.
5. Par ailleurs, le requérant soutient que le législateur aurait rompu l'égalité entre les justiciables dans la mesure où, à la différence de ce qui est prévu pour les cours d'assises, devant les tribunaux correctionnels des exceptions sont apportées au mécanisme de la purge des nullités.
6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le quatrième alinéa de l'article 181 et les mots « autre que celles purgées par l'arrêt de renvoi devenu définitif et » figurant à la première phrase de l'article 305-1 du code de procédure pénale.
- Sur le fond :
7. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il en résulte qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction et que doit être assuré le respect des droits de la défense.
8. Le mécanisme de purge des nullités prévu par les dispositions contestées rend irrecevable, une fois l'ordonnance de mise en accusation devenue définitive, toute exception de nullité visant les actes de la procédure antérieure à cette ordonnance.
9. En vertu de l'article 170 du code de procédure pénale, en toute matière, la chambre de l'instruction peut, au cours de l'information, être saisie aux fins d'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure par le juge d'instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté. En vertu de son article 175, les parties peuvent également exercer ce recours dans un délai d'un à trois mois après la réception de l'avis de fin d'information qui leur est notifié par le juge d'instruction. Enfin, conformément à l'article 186 du même code, la personne mise en examen peut faire appel, devant la chambre de l'instruction, de l'ordonnance de mise en accusation.
10. Ces dispositions garantissent à l'accusé la possibilité de contester utilement les nullités avant qu'intervienne la purge des nullités.
11. Toutefois, l'exercice de ces voies de recours suppose que l'accusé ait été régulièrement informé, selon le cas, de sa mise en examen ou de sa qualité de partie à la procédure, de l'avis de fin d'information ou de l'ordonnance de mise en accusation.
12. Or, les dispositions contestées ne prévoient aucune exception à la purge des nullités en cas de défaut d'information de l'intéressé ne lui ayant pas permis de contester utilement les irrégularités de procédure et alors même que cette défaillance ne procède pas d'une manœuvre de sa part ou de sa négligence.
13. Dès lors, elles méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
14. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.
15. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 décembre 2021 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
16. En revanche, la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un accusé dans la situation décrite au paragraphe 12.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le quatrième alinéa de l'article 181 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, et les mots « autre que celles purgées par l'arrêt de renvoi devenu définitif et » figurant à la première phrase de l'article 305-1 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 85-1407 du 30 décembre 1985 portant diverses dispositions de procédure pénale et de droit pénal, sont contraires à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées aux paragraphes 15 et 16 de cette décision.
Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 avril 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 23 avril 2021.